Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12/01/2010

Adieu camarade, ta pensée nous nourrit

daniel-bensaid-006.1238140402.JPGMort de Daniel Bensaïd



Gravement malade depuis plusieurs mois, notre camarade Daniel Bensaïd est décédé ce matin.
Militant révolutionnaire depuis l’adolescence, il avait été l’un des fondateurs de la JCR (Jeunesse Communiste Révolutionnaire) en 1966 puis l’un des animateurs du Mouvement du 22 Mars et l’un des acteurs du mouvement de Mai 68 avant de participer à la création de la Ligue Communiste, en avril 1969.
Daniel Bensaïd a été longtemps membre de la direction de la LCR. Engagé dans tous les combats internationalistes, il a aussi été l’un des principaux dirigeants de la Quatrième Internationale. Il avait activement participé à la création du NPA.
Philosophe, enseignant à l’Université de Paris VIII, il a publié de très nombreux ouvrages de philosophie ou de débat politique, animé les revues Critique Communiste et ContreTemps, participé activement à la création de à la Fondation Louise Michel et mené sans concession le combat des idées, inspiré par la défense d’un marxisme ouvert, non dogmatique.

Les obsèques se dérouleront dans l'intimité.
Le NPA organisera une soirée d’hommage militant le samedi 23 janvier prochain à Paris

Montreuil, le 12 janvier 2010

Commentaires

Une dernière lettre à Daniel Bensaïd

Julien S.

Le 12 janvier 2010

Daniel,

Tu ne liras pas cette lettre et c’est probablement mieux, car tu n’aurais sans doute pas aimé qu’on te rende un tel hommage.

Depuis ce matin, je me sens orphelin. Car j’appartiens à cette génération qui ne t’a jamais seulement vu comme un camarade, un frère, mais aussi, et je pèse mes mots, comme un père.

Oui, un père. Même si tu as toujours combattu toute forme de paternalisme.

Pour celles et ceux qui, comme moi, n’ont pas connu l’aventure des années 60 et 70, tu représentais un modèle de détermination, de persévérance et d’honnêteté.

La détermination de celui qui se consacre tout entier à la cause et qui sait faire pleinement don de soi sans pour autant se transformer en moine-soldat.

La persévérance de celui, malgré les aléas de la lutte des classes, les déceptions, les défaites, les drames, ne renonce pas.

L’honnêteté de celui qui n’a jamais trahi ses idéaux et qui a toujours refusé de céder aux chants des sirènes qui affirmaient que l’herbe était sans doute plus verte, ou plus rose, ailleurs.

Pour des générations de militants, tu étais tout cela à la fois. Et plus encore.

Tu étais celui qui actualisait le marxisme sans le dénaturer, celui qui désacralisait le marxisme sans le vulgariser, celui qui transmettait le marxisme sans le brader.

Tu ne voulais pas nous imposer ta vision du monde mais nous offrir les outils pour le comprendre. Tu ne voulais pas nous démontrer que tu étais brillant mais nous rendre intelligents.

Tu incarnais, dans le réel, ce que l’on appelle de manière abstraite « l’intellectuel organique », « le marxisme vivant ».

Les souvenirs se bousculent dans ma tête : une formation, lumineuse, sur le thème « Stratégie et Parti » dans un local minuscule et mal éclairé, durant laquelle tu as parlé près de deux heures avec comme seul support un petit papier sur lequel tu avais écrit : « I) Stratégie / II) Parti » ; des discussions, interminables, aux Rencontres Internationales de Jeunes, à parler de ces petits riens qui font tout ; des remontrances, méritées, car je n’avançais guère dans mon mémoire de philo sur Althusser, alors que tu me dirigeais ; un coup de téléphone, bienvenu, dès que tu as su que mon père avait fait une mauvaise rencontre avec une balle israélienne…

Et tellement d’autres souvenirs encore. Mais je les garderai pour moi.

« Il faut s’endurcir, mais sans jamais se départir de sa tendresse », disait le Che. J’avais lu plusieurs de tes écrits avant de te rencontrer, et c’est cette tendresse, inattendue, qui m’a marqué. Tu étais l’antithèse de la caricature de l’intellectuel d’extrême-gauche. Il se dégageait de toi une chaleur enveloppante, une simplicité rassurante, une humanité bienveillante.

J’ai parlé d’intellectuel même si je sais que tu ne te définissais pas comme tel : « Intellectuel militant autant que militant intellectuel ; engagé intellectuel autant, et même plus, qu’intellectuel engagé », disais-tu. Et ce n’était pas une simple posture. Pour avoir eu la chance de militer en ta compagnie, je sais que tu participais à l’ensemble des activités du Parti, de la réunion de cellule à la manifestation, en passant par la diffusion de tracts.

Tu savais, et tu voulais nous faire comprendre, que sans la pratique, la théorie ne vaut rien. Et que sans boussole théorique, on risque de se perdre dans les méandres de la pratique. Tel était le sens de la juxtaposition des deux termes du titre de ton ouvrage « Penser Agir » dans lequel tu nous recommandais de « penser, mais pour agir au présent ».

Tu refusais tout dogmatisme, tout sectarisme. Ce n’était pas un discours vain, mais un combat quotidien. Comme tu l’écrivais si bien, « les déconvenues montrent que l’histoire est sans cesse à réinterpréter, à remettre en jeu, à subjectiviser par rapport à de nouvelles épreuves ».

Tu nous as appris que l’internationalisme n’est pas juste un mot. En Amérique Latine, au Brésil, en Europe et ailleurs, tu as pensé, agi, transmis et retransmis. Tu nous as convaincus que toute cette belle entreprise n’avait de sens que si elle subsumait les frontières, les langues, les religions.

« La mort ne surprend pas le sage : il est toujours prêt à partir » écrivait La Fontaine. Je ne sais si tu étais prêt à partir. Nous n’étions pas prêts. Je n’étais pas prêt. Sans doute pas assez sage.

Je me sens orphelin. Et je me sens héritier. Héritier de tout ce que nous a légué. Une lourde responsabilité.

Nous ferons tout, Daniel, pour faire vivre et fructifier cet héritage. Et je te le promets, nous nous battrons pour construire ce monde, cet idéal auquel tu n’as jamais renoncé.

Je ne vois pas d’autre moyen de surmonter mon chagrin.

Écrit par : RIRI 05 | 13/01/2010

www.fondation-copernic.org

Communiqué Fondation Copernic – Daniel Bensaïd



photo

Daniel Bensaïd est toujours présent !


Pour évoquer Daniel - qui signa l’appel à la création de la Fondation Copernic et restait membre de son Conseil d’orientation - le mieux est de l’écouter. Qui l’écoutait ne se lassait jamais. L’écouter, entre autres, quand il écrit :

« Je ne partage pas la nostalgie du grand homme qui hante les biographies (…). On ne va pas se plaindre de l’effacement de l’homme providentiel et de la crise des « sauveurs suprêmes ». A condition qu’il en sorte un nouvel âge démocratique, où « les masses », comme on disait jadis, fassent davantage leur propre histoire et où le « sauvons-nous nous-mêmes » de la chanson devienne réalité. (…) Quant à l’admiration, je la garde pour les rebelles anonymes et pour les héros ordinaires de la résistance à l’irrésistible (…) c’est la loyauté envers ces inconnus qui fait la grandeur de la politique ».

Daniel Bensaïd, Eloge de la résistance à l’air du temps, Textuel, 1999, p.125-126.

De Daniel, nous parlerons plus tard, son œuvre théorique est cardinale, son engagement a fait l’histoire de la gauche de gauche. Un hommage public lui sera rendu le 23 janvier. Aujourd’hui les mots ne sont pas capables de dire notre peine. Pas capables de dire son dévouement, une vie entière, au service du mouvement social. Qui l’a approché le sait, qui le lit le sait, Bensaïd ne disparaît pas. Nous savons que beaucoup ont fait la même expérience : parfois, on doute de ses engagements, on n’a plus envie. Penser à Bensaïd, y penser seulement, chaque fois, a donné l’envie de s’engager encore, de s’engager davantage, de résister. C’était peut-être son rire, sa joie, sa rigueur, il donnait envie. Personne, paraît-il, n’est irremplaçable. Malheureusement, si !

Écrit par : RIRI 05 | 13/01/2010

Les commentaires sont fermés.