19/04/2011
Nucleaire : Fukushima, un accident de niveau 7
Tokyo a reconnu que l’accident de Fukushima était de « niveau 7 », mais seulement une fois les élections locales passées. Quant aux autorités nucléaires internationales, elles prétendent que la crise nipponne n’a rien à voir avec celle de Tchernobyl, il y a 25 ans. Les calculs politiques l’emportent une nouvelle fois sur les droits des citoyens à l’information, à la protection, à la démocratie.
Tokyo a reconnu que l’accident de Fukushima était de « niveau 7 », mais seulement une fois les élections locales passées. Quant aux autorités nucléaires internationales, elles prétendent que la crise nipponne n’a rien à voir avec celle de Tchernobyl, il y a 25 ans. Les calculs politiques l’emportent une nouvelle fois sur les droits des citoyens à l’information, à la protection, à la démocratie.
Vous pensiez que l’évaluation de la gravité d’un accident nucléaire était rigoureusement scientifique ? Vous aviez tort ; c’est (aussi) une affaire éminemment politique. Ainsi, ce n’est qu’après les élections locales du 10 avril que le gouvernement japonais a reconnu que celui de Fukushima Daiichi atteignait le « niveau 7 », [1] le plus élevé sur l’échelle INES [2].
Tokyo avait tout d’abord annoncé, contre toutes évidences, qu’il ne s’agissait que d’un accident de niveau 4 (qui ne produit que des « rejet mineur de matières radioactives n’exigeant probablement pas la mise en œuvre de contre-mesures prévues autres que la surveillance des aliments locaux »). Ce classement a été maintenu du 12 mars au 18 mars, pendant toute la phase de rejets intenses de radioactivité (dégazage, explosions, incendies..) ! Puis, Tokyo a longtemps prétendu qu’il ne dépassait pas le niveau 5 (soit des rejets radioactifs « limités »). Cette succession de mensonges n’a pas empêché le parti gouvernemental de perdre les élections locales (cependant, sa défaite aurait peut-être été encore plus sévère si la vérité avait été dite plus tôt). Le gouvernement doit maintenant préparer la population à une crise nucléaire durable : l’entreprise responsable du site, Tepco, annonce en effet – sans garantie ! – qu’il lui faudra de 6 à 8 mois pour mettre à l’arrêt la centrale (quant au démantèlement des installations, nul ne sait ce qu’il en sera).
Les autorités nucléaires françaises, jouant l’apparence de la transparence, laissaient depuis longtemps entendre que l’accident de Fukushima était de niveau 6. Pourtant, au lieu de se réjouir de la franchise tardive de leurs homologues nippons, elles font aujourd’hui la fine bouche.
Tout est en effet dans le symbole. Nul ne « visualise » ce que signifie le niveau 6 de gravité (« plus que 5, moins que 7 » a finement répondu un expert interrogé à ce sujet à la télévision). On peut donc prétendre espérer encore que la « catastrophe » sera évitée. En revanche, le niveau 7 évoque immanquablement Tchernobyl. Force est alors de reconnaître que la catastrophe est là ; et depuis les tous premiers jours.
Force est aussi d’avouer qu’une catastrophe nucléaire peut se produire dans l’un des pays technologiquement les plus avancés du monde…
Quelles que soient leurs imperfections (voir plus loin), les informations fournies au Japon justifient pleinement la requalification de l’accident au niveau 7 de l’échelle INES. Pourtant, signe de l’importance qu’accorde à cette question le lobby nucléocrate, l’Association internationale de sûreté atomique (AIEA) s’est mobilisée. L’aveu de Tokyo a été suivi d’une véritable offensive médiatique pour dire que l’on ne pouvait en rien comparer Fukushima à Tchernobyl [3], car la radioactivité libérée jusqu’à aujourd’hui (qu’en sera-t-il demain ?) ne serait que de 10% de ce qui s’était produit en 1986.
Il est bien difficile de comparer les niveaux d’émission de radioactivité quand les chiffres officiellement fournis manquent à ce point de crédibilité et sont aussi incomplets. Les autorités japonaises n’ont pas communiqué les hypothèses et calculs qui fondent leurs conclusions. Seules les rejets atmosphériques ont été pris en compte et pas les très importants rejets marins. La virulence de la radiotoxicité ne peut être estimée, car trop peu de radioéléments sont pris en compte. Il est vraiment urgent qu’au Japon, des associations puissent effectuer des mesures indépendantes, comme le fait en France la Criirad [4]. Les réseaux antinucléaires internationaux devraient les aider à se doter du matériel nécessaire.
Par bien des aspects, ceci étant dit, Fukushima est plus grave que Tchernobyl. Parce qu’il implique dans un même temps quatre réacteurs et non un seul (un cas de figure qui n’avait jamais été envisagé par les autorités internationales). Parce que le tonnage du combustible nucléaire présent sur les installations de Fukushima Daiichi est bien plus important (1760 tonnes au lieu de 180 tonnes pour le réacteur n°4 de Tchernobyl). Parce qu’il ne peut pas être imputé à l’irresponsabilité d’ingénieurs-apprentis sorciers (comme on l’a fait en 1986). Parce qu’il a fait mentir toutes les assurances données sur les risques encourus (la possibilité d’un tremblement de terre de force 9 dans cette partie du Japon avait été écartée). Parce qu’il dure beaucoup plus longtemps – et ne cesse de libérer de la radioactivité. Parce qu’il se produit 25 ans après l’expérience traumatique de Tchernobyl, dans une centrale censée être bien mieux sécurisée – et au Japon, pas dans un Etat en crise comme l’était alors l’Ukraine soviétique.
En mentant pendant un mois sur la gravité de l’accident, le gouvernement japonais n’a pas pris quand il l’aurait dû des mesures de protection de la population et des travailleurs intervenant sur le site [5]. En noyant le poisson, les autorités nucléaires françaises et internationales tentent d’interdire tout réel débat sur la politique énergétique. Un véritable déni du droit à l’information et au choix démocratique. Voilà les véritables problèmes.
Le 3 avril, le militant Kazuyoshi Sato s’est adressé à un rassemblement tenu non loin de la centrale en crise. « Je me suis engagé voilà 20 ans dans le Réseau de Fukushima pour la Dénucléarisation ; et nous voici aujourd’hui confronté à une catastrophe nucléaire en cours. » [6] Nous ne voulons pas avoir à tirer le même constat amer devant d’autres centrales, que ce soit en France, au Japon ou ailleurs. Il faut sortir du nucléaire. Maintenant.
Pierre Rousset
22:11 Publié dans ecologie | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Article du site de Sciences et avenir
Attention, danger ! C’est vers la piscine de l’unité n°4 de Fukushima que les regards convergent aujourd’hui avec une nouvelle inquiétude. S’y déroulent des réactions en chaîne dégageant une très forte radioactivité ! Des niveaux “100 000 fois supérieurs à la normale”, selon l’agence de sûreté nucléaire japonaise NISA. C’est ce que l’on peut comprendre après l’annonce postée ce 14 avril sur son site (1) par l’opérateur TEPCO de la centrale de Fukushima. L’opérateur y présente en effet les résultats d’une “analyse de 200 ml d’eau prélevée le 12 avril dans la piscine n°4” (où 195 tonnes d’eau ont été injectées le 12 avril selon l’AIEA (2)). Ces résultats, obtenus le 13 avril et annoncés ce 14 avril montrent que, outre du césium 137 et du césium 134 découverts dans cette eau, de l’iode 131 y a été retrouvé. Or l’iode 131, rappelons-le, a une demi-vie de 8 jours seulement. Autrement dit, si on le retrouve en quantité – ce qui est le cas, 220 000 Bq/litre – cela signifie qu’il a été créé depuis peu de temps (à noter qu’une mesure dans cette même piscine faite le 4 mars, c’est-à-dire avant le démarrage des événements catastrophiques, n’en avait pas détecté). Et s’il a été créé depuis peu de temps, cela signifie que des réactions de fission ont lieu dans le combustible qui est entreposé.
Rappelons que le réacteur n°4 était à l’arrêt avant le séisme puis le tsunami. Tout le combustible usagé du réacteur avait été déposé dans la piscine. Et l’on a appris aujourd’hui (3) qu’outre ce combustible usagé, du combustible “neuf” s’y trouve aussi : “204 barres de combustible non usagé” (outre 1331 barres de combustible usagé). Des niveaux qui pourraient être également dus, a-t-elle estimé, à l’injection dans la piscine d’eau de pluie contenant des quantités de particules émettrices de radioactivité.
Interrogé à ce sujet, l’ingénieur nucléaire américain Arnie Gundersen (que nous avions cité dans le blog du 15 mars (4)), nous a dit voir dans la présence d’iode 131 dans la piscine n°4 une « énorme annonce » (« BIG news »). De même que la présence de combustible neuf, car il peut devenir « critique » (connaître des réactions de fission) « plus facilement que le combustible usagé ». Selon lui, ce pourrait être « la raison pour laquelle cette piscine n’est plus remplie d’eau. Des changements mineurs dans la géométrie des casiers (dans lesquels sont normalement contenues les barres de combustible) pourraient être la cause de la reprise de criticité dans le combustible neuf. Je le sais, car mon groupe de travail a fait des calculs de criticité dans ce type de casiers pendant des années ».
Devant la dangerosité de ces barres de combustible, on se demande bien comment l’opérateur va pouvoir manipuler ce combustible, afin de le confiner et stopper le relargage de radioactivité qui doit avoir lieu en ce moment même. Il a été annoncé « le déploiement d’un petit drone (hélicoptère) pour voir s’il est possible d’extraire ce combustible » (selon TEPCO, ce survol a été effectué ce 14 avril entre 10h17 et 12h25). La tâche est rendue extrêmement difficile vu les niveaux de radioactivité : rayonnements gamma, mais aussi et peut-être surtout bouffées de neutrons extrêmement dangereuses dont il est très difficile de se prémunir (de même qu’il est difficile de mesurer exactement le niveau de rayonnement au moment où il est émis, lors ds réactions de fission). Sans oublier le phénomène d’ « effet de ciel », déjà cité dans ce blog, sorte de rebond du rayonnement sur les couches atmosphériques qui peut le rabattre vers le sol en des endroits imprévus.
Outre les énormes difficultés d’évacuation de dizaines de milliers de tonnes d’eau radioactive, les travailleurs dans la centrale se retrouvent donc aujourd’hui avec un problème majeur à régler sur l’unité n°4. Sans que l’on connaisse, par ailleurs, jusqu’où peut aller le relargage de produits de fission particulièrement dangereux.
1) http://www.tepco.co.jp/en/press/corp-com/release/betu11_e/images/110414e20.p df
2) http://www.iaea.org/newscenter/news/tsunamiupdate01.html
3) http://english.kyodonews.jp/news/2011/04/85295.html
4) « Lanceur d’alerte » qui a fondé une entreprise baptisée Fairewinds Associates, et qui a participé à en particulier aux enquêtes sur la centrale de Vermont Yankee, de même type que celle de Fukushima (réacteur à eau bouillante construit par General Electric). http://sciencepourvousetmoi.blogs.sciencesetavenir.fr/arc...
Écrit par : rir05 | 19/04/2011
Les sous-traitants du nucléaire français continuent le combat
Par Laurie Zénon, publié le 18/04/2011 à 10:06, mis à jour à 11:08
Des "invisibles" du nucléaire se réunissent ce lundi à Bollène (Vaucluse), près de la centrale du Tricastin, pour réclamer, entre autres, la retraite à 55 ans.
"Sous-traitants, oui! Esclaves, non!" Le slogan, affiché sur la page d'accueil du site "Ma zone contrôlée va mal", résume le combat engagé par les "invisibles" du nucléaire. Ils sont soudeurs, mécaniciens, chaudronniers et triment dans l'ombre des centrales, chargés d'assurer la maintenance des 58 réacteurs français. Dès que l'un de ces mastodontes s'arrête, tous les douze ou dix-huit mois, les travailleurs enfilent scaphandres et lunettes avant d'empoigner leurs "chiffonnettes" pour s'attaquer à la poussière radioactive. Cette mission, EDF la confie à des centaines d'entreprises sous-traitantes qui font travailler 20 000 salariés dont 17% sont des d'intérimaires et des employés en CDD, selon le quotidien La Croix.
Les sous-traitants du nucléaire français continuent le combat
La centrale nucléaire du Tricastin.
AFP
Un "cahier blanc" des sous-traitants
Depuis la crise nucléaire japonaise, le débat sur la sûreté des conditions de travail a été relancé par les sous-traitants français. Le 29 mars dernier, des militants CGT, CFDT et FO ont distribué des tracts devant les centrales. Ce lundi, ils comptent passer à la vitesse supérieure. Une réunion est organisée à Bollène (Vaucluse) dans la commune qui accueille le plus grand site nucléaire français, Tricastin. Un lieu symbolique pour les représentants du personnel, membres des comités d'entreprises et du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) réunis par les militants syndicaux. (CGT, CFDT et FO) Au total, une quinzaine d'hommes au coeur du métier, prêts à établir un "cahier blanc des sous-traitants". Autrement dit à énoncer des mesures afin que "leur statut soit considéré", explique Gilles Reynaud, spécialiste en logistique et sous-traitant pour le groupe Areva.
Une action "sites morts"
Leurs revendications? Obtenir la retraite à 55 ans, bénéficier d'un suivi médical à vie, et voir la dose maximale d'exposition abaissée à 10 millisieverts (mSv) à l'année. Il s'agirait d'une réduction de moitié, la dose maximale autorisée aux rayons ionisants étant de 20 millisieverts à ce jour. Prochaines étapes des petites mains du nucléaire: expliquer aux salariés qu'ils ne doivent pas avoir peur de témoigner. Organiser une journée "sites morts" avec des débrayages. Et aller "taper à la porte des candidats à la présidentielle" afin que leur bataille devienne un enjeu politique. "La rentabilité ne doit pas se faire au détriment de l'humain", conclut Gilles Reynaud.
Écrit par : riri05 | 19/04/2011
Royal ce moment passez en votre établissement, un enorme compliment et felicitation. Merci beaucoup pour cette lecture.
Écrit par : site pari sportif | 27/05/2014
J'aime bien votre blogging, il vous laisse cette remarque pour vous encourager à le prendre soin de à jour.
Écrit par : cote france honduras | 12/06/2014
Les commentaires sont fermés.