08/01/2011
Communiqué :RESF refuse de rencontrer Monsieur Hortefeux
Monsieur le ministre,
Vous avez souhaité rencontrer des représentants du Réseau Éducation Sans Frontières avant la
présidence française de l’Union européenne. Dans le contexte actuel, une telle entrevue nous semble
inutile. Nous ne répondrons pas à votre invitation.
Malgré les fortes réticences de certains d’entre nous, dues entre autres à l’intitulé de votre ministère,
nous avions accepté d’être reçus l’an dernier pour ne pas condamner votre politique avant que vous
l’ayez officiellement énoncée.
Depuis lors vous avez fait vos preuves, au-delà de tout ce qu’on pouvait redouter.
Vous avez fait voter une loi destinée à empêcher les parents et les enfants de vivre ensemble et jetant l’opprobre sur une immigration dont votre texte insinue, par son existence même, qu’elle serait trop prolifique et aux filiations si douteuses qu’il faudrait recourir aux tests ADN pour les établir --pratique
jusqu’alors réservée aux affaires criminelles.
Monsieur le ministre,
Vous avez souhaité rencontrer des représentants du Réseau Éducation Sans Frontières avant la
présidence française de l’Union européenne. Dans le contexte actuel, une telle entrevue nous semble
inutile. Nous ne répondrons pas à votre invitation.
Malgré les fortes réticences de certains d’entre nous, dues entre autres à l’intitulé de votre ministère,
nous avions accepté d’être reçus l’an dernier pour ne pas condamner votre politique avant que vous
l’ayez officiellement énoncée.
Depuis lors vous avez fait vos preuves, au-delà de tout ce qu’on pouvait redouter.
Vous avez fait voter une loi destinée à empêcher les parents et les enfants de vivre ensemble et jetant l’opprobre sur une immigration dont votre texte insinue, par son existence même, qu’elle serait trop prolifique et aux filiations si douteuses qu’il faudrait recourir aux tests ADN pour les établir --pratique
jusqu’alors réservée aux affaires criminelles.
Vous avez assigné à vos services l’objectif de 25 000 expulsions en 2007, 26 000 en 2008, 28 000 en
2009, précisant à l’unité près, les quotas dus par chaque préfecture, comme s’il s’agissait de fret. Que
n’exprimez-vous vos objectifs en têtes ou en quintaux ?
Une expulsion est un cataclysme. C’est tout à la fois une arrestation inopinée, un emprisonnement, la
privation de son logement, un licenciement minute, la spoliation de la totalité de ses biens, parfois la
séparation brutale d’avec son conjoint et ses enfants, la dislocation de tout lien avec son milieu et ses
amis et une reconduite contrainte, éventuellement assortie de violences. C’est une humiliation totale
dont on ne se remet pas. Le pays dans lequel on avait placé son espoir d’une existence nouvelle, qu’on
avait parfois bataillé des années pour rejoindre, vous rejette, vous expulse et vous dépose comme un
déchet, sans bagage, sur un tarmac où personne ne vous attend. Même quand les expulsés ont des
proches au pays, il arrive que la honte les empêche de les rejoindre : celui qui faisait vivre toute une
famille est devenu une charge. Nombre d’expulsés finissent désespérés, désocialisés, à la rue,
mendiants, fous ou suicidés.
Ces ravages ne sont ni des accidents, ni des faux frais de votre politique. Ils sont son essence même.
Définissant le rôle de votre ministère dans une lettre aux évêques de France, vous assuriez : « Il faut
[...] adresser un message clair aux candidats à l’émigration, en leur démontrant que la clandestinité est
une voie sans issue ». Comment faire cette démonstration ? Toute l’histoire en témoigne, les seuls
« messages clairs » susceptibles de faire fuir une population de là où elle est établie ou de l’empêcher
de se rendre là où elle espère un avenir sont la violence et la terreur. La société française n’est
aujourd’hui pas prête à accepter le recours à la violence ouverte. Heureusement. Mais la longue liste
des situations choquantes de brutalité engendrées par votre politique témoigne du risque d’une dérive.
Quelques exemples, en quelques mois, à Paris. 20 janvier 2008, Sena, 9 ans, passait 24h, seul,
enfermé chez lui, terrorisé. Son père sans papiers était en garde à vue au commissariat du 10e. 8 février, Osman, 2 ans et demi était seul pendant 3 jours, son père en rétention à Vincennes, sa mère à l’hôpital en train d’accoucher. 4 mars, Cécile, 6 ans et Sylvie, 5 ans, étaient seules, leurs parents en garde à vue au commissariat du 20e... Mars, Jennifer, 2 ans et Yasmina, 2 mois et demi, seules pendant 15 jours, leurs parents en rétention, lui à Vincennes, elle à Cité... 27 mai 2008, Jeanne, 2 ans seule, son père en rétention à Vincennes, sa mère alors au Sénégal... A chaque fois, la police était informée que les enfants étaient seuls. A chaque fois, des parents, amis, militants du RESF ont veillé à la sécurité des enfants ; Samir, 19 ans, élève du LP de Villeneuve sur Lot expulsé moins de 24 heures après son arrestation sur une convocation piège. Des arrestations au domicile de familles entières. 240 enfants en
rétention en 2007. Yvan, Tchétchène de 12 ans, rendu invalide après être passé par la fenêtre à Amiens
en août 2007 pour n’avoir pas affaire à la police française. Chunlan Zhang tuée à Belleville dans les
mêmes circonstances. John Maïna, 19 ans, suicidé en février 2008 en apprenant que l’asile lui était
refusé, Baba Traoré, 29 ans, noyé dans la Marne en avril 2008 pour échapper à un contrôle de police.
Ces morts, ces drames, ces automutilations, ce désespoir qu’engendre votre action ne vous hantent-ils
pas ? Etes-vous fier d’imposer de telles missions à vos services ?
Il vous arrive d’en dire peut-être plus que vous ne le souhaiteriez. C’est ainsi que vous déclariez dans Le Figaro du 25 avril 2008 : « Si mon souci est de répondre aux besoins des secteurs en pénurie de main d’œuvre, j’ai aussi le devoir d’accompagner l’ensemble de la communauté nationale vers l’emploi. [...]
Dois-je laisser sur le bord de la route des étrangers qui ont fait l’effort d’entrer légalement sur le
territoire, de satisfaire le parcours d’intégration ? Faut-il sacrifier leurs enfants nés ici ? [...]. Discours
stupéfiant. Est-ce à dire qu’il y aurait des emplois « réservés » ? Occupés par des sans papiers
aujourd’hui, ils seraient « offerts » aux immigrés en situation régulière ou à « leurs enfants nés ici »,
c’est-à-dire Français pour la plupart mais n’ayant pas la tête à l’être assez pour qu’on ne leur propose
pas les emplois dévolus aux immigrés. Jusqu’à combien de générations ? A trop finasser on s’expose à
laisser échapper une sottise ... ou le fond de sa pensée ? Il serait utile que vous vous expliquiez
clairement et le cas échéant, vous corrigiez ces propos.
La directive « retour » que vous avez adoptée avec vos collègues de l’Union européenne place les
étrangers sans papiers dans des conditions proches de celle de l’état de siège : jusqu'à dix-huit mois
d'internement pour le seul fait d'avoir franchi des frontières et de vouloir vivre en Europe ; rétention et
expulsion de mineurs et de personnes vulnérables (femmes enceintes, personnes âgées, victimes de
torture...) ; possibilité d’expulser des personnes vers un pays de transit, même en l’absence de lien avec ce pays ; interdiction de retour sur le territoire européen pour une durée de cinq ans de ceux ayant été expulsés ; absence d'obligation de fournir un titre de séjour aux étrangers souffrant de maladies graves ; application aux mineurs isolés de l'ensemble de ces mesures.
Les objectifs que vous dites vouloir assigner à la présidence française (interdiction des régularisations,
renforcement des actions policières, discours sur l’aide au développement, identiques depuis 1970) sont
dangereux et, de plus, inefficaces.
Selon les chiffres de votre ministère, de 200 à 400 000 étrangers sans papiers vivent en France. Il vous
faudrait de 8 à 16 ans pour les expulser tous, au rythme de 25 000 par an, à supposer qu’il n’y ait ni
naissance, ni entrée nouvelle.
L’action du RESF depuis quatre ans a contribué à mettre en évidence une évolution profonde de la
société française, l’acceptation de ce qu’elle est, une société diversifiée du point de vue de ses origines.
Le courant auquel vous vous rattachez prétend par calcul politicien enrayer cette tendance de fond. A
cette fin, il recourt à des moyens attentatoires aux droits de l’Homme et à la dignité. Nous sommes
convaincus que si d’aventure un manuel d’histoire consacre un jour quelques lignes à votre action, elles
ne vous feront pas honneur.
Ajoutons, pour finir que rien dans vos récentes déclarations ne laisse augurer un changement de votre
politique ni même l’ouverture d’un dialogue dont la seule fonction à vos yeux semble être une opération
de communication en prélude à la présidence française de l’Union européenne.
Ces raisons, entre autres, nous font décliner votre proposition d’audience. Nous vous prions, Monsieur
le ministre, d’agréer l’expression de la considération que mérite votre politique.
Pour le Réseau Éducation Sans Frontières
Richard Moyon
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