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28/09/2011

Nucleaire : 60 000 manifestants au Japon


« Adieu aux centrales nucléaires ». Six mois après Fukushima, une grande manifestation à Tokyo

by daniellesabai

poisson.jpgPierre Rousset

Le 19 septembre, avec pour mots d’ordre « Plus jamais de Fukushima » et « arrêt des centrales nucléaires », Tokyo a abrité la plus grande manifestation contre le nucléaire civile depuis la catastrophe du 11 mars avec, selon les organisateurs, plus de 60.000 participant.e.s, souvent venus en famille. Très colorée, réunissant des intellectuels, associations antinucléaires, ONG, comités citoyens, syndicats, groupes d’extrême gauche, elle a commencé par un rassemblement au parc Meiji avant de partir en trois directions sillonner la capitale [1].

Le succès de cette initiative est très significatif. Il a dépassé les attentes (les organisateurs espéraient 50.000 participant.e.s). Le 11 juin dernier, trois mois après la catastrophe, quelque 70.000 personnes avaient certes manifesté, mais dans plus de 140 localités. Ils étaient alors 20.000 à Tokyo.

Comme l’expliquait la veille du 19 septembre à Asian Times Online, Satoshi Kamata – 73 ans, écrivain et journaliste spécialiste du nucléaire et des mouvements sociaux japonais – « les manifestations au Japon sont un peu différentes d’aux Etats-Unis ou en Europe, où des centaines de milliers de personnes peuvent s’opposer à l’énergie nucélaire. Ici, des mobilisations nationales ont attiré 10.000 ou 20.000 participant.e.s. Cette fois, nous en espérons 50.000. » [2]

Personnalités

Le 19 septembre – intitulé « Sayonara genpatsu », « Adieu au nucléaire » – a été préparé par une semaine nationale d’actions, débutant le 11. L’appel initial avait été formellement lancé par neuf personnalités, dont l’acteur Taro Yamamoto, le musicien Ryuichi Sakamoto, le journaliste Satoshi Kamata, l’auteure Keiko Ochiai et le prix Nobel de littérature Kenzaburo Oe. [3] : « Nous avons toujours été conscients de ce que les êtres humains ne peuvent vivre avec le nucléaire. Nous regrettons profondément que – bien que nous connaissions ce fait – nos voix et nos actions de protestation ont été beaucoup trop faibles.

« Nous sommes déterminés à engager des actions pour ’une société pacifique et durable’, en reconsidérant notre mode de vie qui exploite la nature et gaspille sans limite l’énergie, et en focalisant les énergies naturelles. Dans cette perspective, nous avons définis les objectifs suivants :

« 1. L’abandon des plans de construction de nouvelles centrales nucléaires.

« 2. La fermeture planifiée des centrales nucléaires existantes, y compris celle d’Hamaoka.

« 3. L’abolition [du suréacteur] de ’Monju’ et des centres de retraitements qui utilisent le plutonium, le plus dangereux des éléments radioactifs. »

En sus des signataires de l’appel, une centaine de personnalités se sont engagées pour le 19 septembre, comme le cinéaste Yoji Yamada et le docteur Masazumi Harada connu pour son traitement des victimes de la maladie de Minamata, provoquée par une pollution industrielle au mercure.

Lors du rassemblement, l’un des signataires, le prix Nobel Kenzaburo Oe, a déclaré : « Certains disent qu’il est impossible de se passer d’énergie nucléaire, mais c’est un mensonge. L’énergie nucléaire est toujours accompagnée de destructions et de sacrifices » ; « Nous devons faire savoir aux dirigeants des principaux partis et au patronat japonais notre intention de résister. » [4].

Venus de Fukushima

La présence à la manifestation de nombreux riverains de la centrale de Fukushima Daiichi, contraints d’évacuer leurs domicile pour cause de radioactivité, avait une forte portée politique. Pour Kazuhiro Hashimoto, un employé médical, « si nous n’arrivons pas à sortir du nucléaire maintenant, nous ne pourrons jamais construire un monde sans cette énergie ». « Il sera trop tard pour protester après le prochain accident nucléaire. Nous espérons que celui de Fukushima sera le dernier »

« Six mois après », notait Ruiko Muto, membre d’un groupe citoyen de Fukushima, « nous y voyons plus clair. » « Nous savons maintenant que les faits ne nous ont pas été révélés, le gouvernement ne protège pas la population, l’accident est toujours en cours... mais il y a encore des gens qui promeuvent le nucléaire ». « Depuis le 11 mars, nous devons chaque jours prendre des décisions sur des questions comme faut-il évacuer, faut-il faire porter des masques aux enfants, faut-il faire sécher le linge dehors, faut-il labourer les champs ? »

Yamazaki a évacué Kawasaki (préfecture de Kanagawa) avec son épouse, sa fille et sa petite-fille. Son fils, un pompier, est resté sur place. « Nous voulons revenir chez nous, mais en pensant à ma petite-fille âgée d’un an, nous ne pouvons y vivre tant que la ville n’a pas été décontaminée. Je n’aurai jamais pensé me retrouver à mon âge loin de chez moi. Je suis préoccupé et triste mais, à moins que nous nous engagions dans l’action, rien ne changera jamais. »

« Si je suis ici, note une femme de 40 ans, c’est, pour une part, parce que je m’en veux d’avoir été si indifférente (à la question de l’énergie nucléaire). Je ne peux nul part exprimer ma frustration, mais au moins aujourd’hui je peux la crier. »

Une autre manifestante, âgée de 72 ans et originaire de Koriyama (préfecture de Fukushima) expliquait pour sa part : « Tous les enfants sont partis. Je veux que la ville soit remise en état pour entendre à nouveau leurs rires dans les parcs et les écoles. Je ne peux faire confiance ni en la TEPCO ni dans le gouvernement. Je pense qu’ils cachent encore quelque chose d’embarrassant pour eux. Le fait que nous soyons si nombreux aujourd’hui montre que personne n’a confiance. »

Les parents de Miki Ogawa, 40 ans, habitent non loin de la centrale nucléaire de Hamaoka (préfecture de Shizuoka). Elle vit dans la peur depuis la catastrophe de Fukushima. « J’ai réalisé que le gouvernement nous mentait quand il nous disait que les centrales nucléaires étaient sans danger. » Sa petite sœur réside à Toda (préfecture de Saitama) ; elle n’ose pas sortir son nouveau né par peur des radiations émises de Fukushima Daiichi. « Je veux que le gouvernement abolisse toutes les centrales, insiste Ogawa, pour la sécurité future de nos enfants. Voyant aujourd’hui que tant de monde partage mon sentiment, je pense que nous pouvons l’obtenir ».

Syndicats

Côté mouvement ouvrier, l’initiative de la manifestation fut prise par des syndicats proches du Parti social-démocrate, mais la fédération liée au Parti communiste, Zenrohren (Confédération nationale des syndicats), Zenrokyo (Conseil national des syndicats, indépendante) et des mouvements d’extrême gauche étaient aussi très mobilisés, avec un contingent de plus de 5.000 militant.e.s. Signe des temps et de la pression populaire, le Parti communiste japonais commence à s’investir plus activement dans le mouvement antinucélaire. Il a modifié son programme pour demander la sortie immédiate de l’atome. [5]

« Nous n’avons pas besoin de centrales nucléaires ! », « L’entreprise TEPCO doit payer des compensations aux victimes » scandaient les manifestant.e.s. « Nous voulons que le gouvernement dise clairement quand ils vont cesser d’utiliser l’énergie nucléaire de façon à ce que nous soyons tous soulagés et que nous puissions travailler dur au développement des renouvellables. » déclarait Yasunari Fujimoto. Pour Yoshiharu Saito, résident de Fukushima, « nous, les gens, ne voyons évidemment pas la radioactivité et nous ne pouvons pas la sentir. Mais nous n’avons aucun doute sur ce le fait qu’elle s’étende ».

Les initiateurs de l’appel se donnent pour objectif de réunir 10 millions de signatures pour la sortie du nucléaire. L’opinion publique est en effet de plus en plus hostile à la poursuite de la politique énergétique antérieure. A un sondage effectué par le quotidien Mainichi Shimbun, 65% des personnes interrogées en dehors des zones sinistrées se sont déclarées prête à une réduction de la consommation électrique pour se libérer de la dépendance à l’égard de l’atome.

Pour Satoe Sakai, venu d’Osaka, « c’est aujourd’hui que nous pouvons vraiment changer la politique nucléaire ; c’est le moment le plus favorable pour agir. ». Mais la partie n’est pas gagnée, comme en témoigne le pas-de-deux des experts.

Experts et juges

Le monde des experts, scientifiques et juges est en effet plongé dans l’embarras. Ils doivent faire aujourd’hui un certain mea culpa, en reconnaissant qu’ils ont pris trop facilement parti pour l’industrie nucléaire contre les associations citoyennes. Ainsi, le professeur Haruki Madarame (université de Tokyo) assurait en février 2007 que l’hypothèse d’un accident touchant simultanément deux réacteurs était si improbable qu’elle devait être ignorée – ce fut pourtant le cas de quatre réacteurs à Fukushima ! Des géologues ont « scientifiquement » assurés que les centrales résisteraient au pire des tremblements de terre. Le 22 mars dernier, revenant sur ses affirmations, Madarame a déclaré : « Je réalise maintenant que la façon dont j’ai simplifié la question dans mon témoignage n’était pas correcte. Une révision fondamentale des centrales nucléaires doit être engagée. » Les géologues reconnaissent de même que « le tsunami n’a pas été pris suffisamment en compte dans l’évaluation de la sécurité » des installations. [6]

La Société sur l’énergie atomique du Japon (AESJ) s’est réunie le 19 septembre pour la première fois depuis la catastrophe de Fukushima. A la question « pourquoi a-t-il fallu attendre ce désastre pour réaliser l’existence des problèmes ? », le professeur Akira Yamaguchi a répondu par une litote qui en dit long : « Je pense que nous étions dans un environnement qui ne nous encourageait pas à exercer notre imagination. » Mais il ne faut pas espérer pour autant que les éminents membres de cette société poussent loin l’autocritique. La nécessité même du nucléaire n’a pas été soumis à discussion. Bien au contraire, pour le président Tanaka, « l’énergie nucléaire est indispensable. ».

Gouvernement

Le gouvernement sent la pression. Il prévoyait, avant la catastrophe du 11 mars, d’augmenter la part du nucléaire dans la production d’électricité en la faisant passer des 30% actuels à 50% en 2030. Il doit y renoncer et promettre le développement des renouvellables. Mais il n’en pousse pas moins à la relance de réacteurs aujourd’hui à l’arrêt, il veut maintenir sa politique d’exportation de l’atome et il reste sous l’emprise du puissant lobby nucléocrate. Il n’y aura pas de sortie du nucléaire sans luttes d’ampleur. « Nous devons exercer une forte pression sur le gouvernement par des mobilisations encore plus massives » souligne Kenji Kunitomi, un membre de la Ligue communiste révolutionnaire du Japon.

Notes

[1] Sauf indications contraires, les citations inclues dans cet articles proviennent des agences de presse AFP, AP, Euronews, Kyodo et Reuters ou des quotidiens Japan Times et Mainichi Shimbun. Toutes les sources utilisées ici sont disponibles sur le site d’ESSF.

[2] Interview réalisée par Daniel Leussink, publiée par Asia Times Online, September 21, 2011

[3] Appel disponible en anglais sur ESSF (article 22970).

[4] Voir aussi sur ESSF (article 22948), Kenzaburo Oe : Resignation to and responsibility for Fukushima disaster.

[5] Voir sur ESSF (article 22809) Kenji Kunitomi, Fukushima, 6 Months After : September 19 « Goodbye Nuclear Power Plant » Rally in Tokyo, 10 septembre 2011.

[6] Mainichi Shimbun, 20 Septembre 2011.


 

« Adieu aux centrales nucléaires ». Six mois après Fukushima, une grande manifestation à Tokyo

by daniellesabai

poisson.jpgPierre Rousset

Le 19 septembre, avec pour mots d’ordre « Plus jamais de Fukushima » et « arrêt des centrales nucléaires », Tokyo a abrité la plus grande manifestation contre le nucléaire civile depuis la catastrophe du 11 mars avec, selon les organisateurs, plus de 60.000 participant.e.s, souvent venus en famille. Très colorée, réunissant des intellectuels, associations antinucléaires, ONG, comités citoyens, syndicats, groupes d’extrême gauche, elle a commencé par un rassemblement au parc Meiji avant de partir en trois directions sillonner la capitale [1].

Le succès de cette initiative est très significatif. Il a dépassé les attentes (les organisateurs espéraient 50.000 participant.e.s). Le 11 juin dernier, trois mois après la catastrophe, quelque 70.000 personnes avaient certes manifesté, mais dans plus de 140 localités. Ils étaient alors 20.000 à Tokyo.

Comme l’expliquait la veille du 19 septembre à Asian Times Online, Satoshi Kamata – 73 ans, écrivain et journaliste spécialiste du nucléaire et des mouvements sociaux japonais – « les manifestations au Japon sont un peu différentes d’aux Etats-Unis ou en Europe, où des centaines de milliers de personnes peuvent s’opposer à l’énergie nucélaire. Ici, des mobilisations nationales ont attiré 10.000 ou 20.000 participant.e.s. Cette fois, nous en espérons 50.000. » [2]

Personnalités

Le 19 septembre – intitulé « Sayonara genpatsu », « Adieu au nucléaire » – a été préparé par une semaine nationale d’actions, débutant le 11. L’appel initial avait été formellement lancé par neuf personnalités, dont l’acteur Taro Yamamoto, le musicien Ryuichi Sakamoto, le journaliste Satoshi Kamata, l’auteure Keiko Ochiai et le prix Nobel de littérature Kenzaburo Oe. [3] : « Nous avons toujours été conscients de ce que les êtres humains ne peuvent vivre avec le nucléaire. Nous regrettons profondément que – bien que nous connaissions ce fait – nos voix et nos actions de protestation ont été beaucoup trop faibles.

« Nous sommes déterminés à engager des actions pour ’une société pacifique et durable’, en reconsidérant notre mode de vie qui exploite la nature et gaspille sans limite l’énergie, et en focalisant les énergies naturelles. Dans cette perspective, nous avons définis les objectifs suivants :

« 1. L’abandon des plans de construction de nouvelles centrales nucléaires.

« 2. La fermeture planifiée des centrales nucléaires existantes, y compris celle d’Hamaoka.

« 3. L’abolition [du suréacteur] de ’Monju’ et des centres de retraitements qui utilisent le plutonium, le plus dangereux des éléments radioactifs. »

En sus des signataires de l’appel, une centaine de personnalités se sont engagées pour le 19 septembre, comme le cinéaste Yoji Yamada et le docteur Masazumi Harada connu pour son traitement des victimes de la maladie de Minamata, provoquée par une pollution industrielle au mercure.

Lors du rassemblement, l’un des signataires, le prix Nobel Kenzaburo Oe, a déclaré : « Certains disent qu’il est impossible de se passer d’énergie nucléaire, mais c’est un mensonge. L’énergie nucléaire est toujours accompagnée de destructions et de sacrifices » ; « Nous devons faire savoir aux dirigeants des principaux partis et au patronat japonais notre intention de résister. » [4].

Venus de Fukushima

La présence à la manifestation de nombreux riverains de la centrale de Fukushima Daiichi, contraints d’évacuer leurs domicile pour cause de radioactivité, avait une forte portée politique. Pour Kazuhiro Hashimoto, un employé médical, « si nous n’arrivons pas à sortir du nucléaire maintenant, nous ne pourrons jamais construire un monde sans cette énergie ». « Il sera trop tard pour protester après le prochain accident nucléaire. Nous espérons que celui de Fukushima sera le dernier »

« Six mois après », notait Ruiko Muto, membre d’un groupe citoyen de Fukushima, « nous y voyons plus clair. » « Nous savons maintenant que les faits ne nous ont pas été révélés, le gouvernement ne protège pas la population, l’accident est toujours en cours... mais il y a encore des gens qui promeuvent le nucléaire ». « Depuis le 11 mars, nous devons chaque jours prendre des décisions sur des questions comme faut-il évacuer, faut-il faire porter des masques aux enfants, faut-il faire sécher le linge dehors, faut-il labourer les champs ? »

Yamazaki a évacué Kawasaki (préfecture de Kanagawa) avec son épouse, sa fille et sa petite-fille. Son fils, un pompier, est resté sur place. « Nous voulons revenir chez nous, mais en pensant à ma petite-fille âgée d’un an, nous ne pouvons y vivre tant que la ville n’a pas été décontaminée. Je n’aurai jamais pensé me retrouver à mon âge loin de chez moi. Je suis préoccupé et triste mais, à moins que nous nous engagions dans l’action, rien ne changera jamais. »

« Si je suis ici, note une femme de 40 ans, c’est, pour une part, parce que je m’en veux d’avoir été si indifférente (à la question de l’énergie nucléaire). Je ne peux nul part exprimer ma frustration, mais au moins aujourd’hui je peux la crier. »

Une autre manifestante, âgée de 72 ans et originaire de Koriyama (préfecture de Fukushima) expliquait pour sa part : « Tous les enfants sont partis. Je veux que la ville soit remise en état pour entendre à nouveau leurs rires dans les parcs et les écoles. Je ne peux faire confiance ni en la TEPCO ni dans le gouvernement. Je pense qu’ils cachent encore quelque chose d’embarrassant pour eux. Le fait que nous soyons si nombreux aujourd’hui montre que personne n’a confiance. »

Les parents de Miki Ogawa, 40 ans, habitent non loin de la centrale nucléaire de Hamaoka (préfecture de Shizuoka). Elle vit dans la peur depuis la catastrophe de Fukushima. « J’ai réalisé que le gouvernement nous mentait quand il nous disait que les centrales nucléaires étaient sans danger. » Sa petite sœur réside à Toda (préfecture de Saitama) ; elle n’ose pas sortir son nouveau né par peur des radiations émises de Fukushima Daiichi. « Je veux que le gouvernement abolisse toutes les centrales, insiste Ogawa, pour la sécurité future de nos enfants. Voyant aujourd’hui que tant de monde partage mon sentiment, je pense que nous pouvons l’obtenir ».

Syndicats

Côté mouvement ouvrier, l’initiative de la manifestation fut prise par des syndicats proches du Parti social-démocrate, mais la fédération liée au Parti communiste, Zenrohren (Confédération nationale des syndicats), Zenrokyo (Conseil national des syndicats, indépendante) et des mouvements d’extrême gauche étaient aussi très mobilisés, avec un contingent de plus de 5.000 militant.e.s. Signe des temps et de la pression populaire, le Parti communiste japonais commence à s’investir plus activement dans le mouvement antinucélaire. Il a modifié son programme pour demander la sortie immédiate de l’atome. [5]

« Nous n’avons pas besoin de centrales nucléaires ! », « L’entreprise TEPCO doit payer des compensations aux victimes » scandaient les manifestant.e.s. « Nous voulons que le gouvernement dise clairement quand ils vont cesser d’utiliser l’énergie nucléaire de façon à ce que nous soyons tous soulagés et que nous puissions travailler dur au développement des renouvellables. » déclarait Yasunari Fujimoto. Pour Yoshiharu Saito, résident de Fukushima, « nous, les gens, ne voyons évidemment pas la radioactivité et nous ne pouvons pas la sentir. Mais nous n’avons aucun doute sur ce le fait qu’elle s’étende ».

Les initiateurs de l’appel se donnent pour objectif de réunir 10 millions de signatures pour la sortie du nucléaire. L’opinion publique est en effet de plus en plus hostile à la poursuite de la politique énergétique antérieure. A un sondage effectué par le quotidien Mainichi Shimbun, 65% des personnes interrogées en dehors des zones sinistrées se sont déclarées prête à une réduction de la consommation électrique pour se libérer de la dépendance à l’égard de l’atome.

Pour Satoe Sakai, venu d’Osaka, « c’est aujourd’hui que nous pouvons vraiment changer la politique nucléaire ; c’est le moment le plus favorable pour agir. ». Mais la partie n’est pas gagnée, comme en témoigne le pas-de-deux des experts.

Experts et juges

Le monde des experts, scientifiques et juges est en effet plongé dans l’embarras. Ils doivent faire aujourd’hui un certain mea culpa, en reconnaissant qu’ils ont pris trop facilement parti pour l’industrie nucléaire contre les associations citoyennes. Ainsi, le professeur Haruki Madarame (université de Tokyo) assurait en février 2007 que l’hypothèse d’un accident touchant simultanément deux réacteurs était si improbable qu’elle devait être ignorée – ce fut pourtant le cas de quatre réacteurs à Fukushima ! Des géologues ont « scientifiquement » assurés que les centrales résisteraient au pire des tremblements de terre. Le 22 mars dernier, revenant sur ses affirmations, Madarame a déclaré : « Je réalise maintenant que la façon dont j’ai simplifié la question dans mon témoignage n’était pas correcte. Une révision fondamentale des centrales nucléaires doit être engagée. » Les géologues reconnaissent de même que « le tsunami n’a pas été pris suffisamment en compte dans l’évaluation de la sécurité » des installations. [6]

La Société sur l’énergie atomique du Japon (AESJ) s’est réunie le 19 septembre pour la première fois depuis la catastrophe de Fukushima. A la question « pourquoi a-t-il fallu attendre ce désastre pour réaliser l’existence des problèmes ? », le professeur Akira Yamaguchi a répondu par une litote qui en dit long : « Je pense que nous étions dans un environnement qui ne nous encourageait pas à exercer notre imagination. » Mais il ne faut pas espérer pour autant que les éminents membres de cette société poussent loin l’autocritique. La nécessité même du nucléaire n’a pas été soumis à discussion. Bien au contraire, pour le président Tanaka, « l’énergie nucléaire est indispensable. ».

Gouvernement

Le gouvernement sent la pression. Il prévoyait, avant la catastrophe du 11 mars, d’augmenter la part du nucléaire dans la production d’électricité en la faisant passer des 30% actuels à 50% en 2030. Il doit y renoncer et promettre le développement des renouvellables. Mais il n’en pousse pas moins à la relance de réacteurs aujourd’hui à l’arrêt, il veut maintenir sa politique d’exportation de l’atome et il reste sous l’emprise du puissant lobby nucléocrate. Il n’y aura pas de sortie du nucléaire sans luttes d’ampleur. « Nous devons exercer une forte pression sur le gouvernement par des mobilisations encore plus massives » souligne Kenji Kunitomi, un membre de la Ligue communiste révolutionnaire du Japon.

Notes

[1] Sauf indications contraires, les citations inclues dans cet articles proviennent des agences de presse AFP, AP, Euronews, Kyodo et Reuters ou des quotidiens Japan Times et Mainichi Shimbun. Toutes les sources utilisées ici sont disponibles sur le site d’ESSF.

[2] Interview réalisée par Daniel Leussink, publiée par Asia Times Online, September 21, 2011

[3] Appel disponible en anglais sur ESSF (article 22970).

[4] Voir aussi sur ESSF (article 22948), Kenzaburo Oe : Resignation to and responsibility for Fukushima disaster.

[5] Voir sur ESSF (article 22809) Kenji Kunitomi, Fukushima, 6 Months After : September 19 « Goodbye Nuclear Power Plant » Rally in Tokyo, 10 septembre 2011.

[6] Mainichi Shimbun, 20 Septembre 2011.

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